« No food », me répond l’agente quand je lui demande où je peux aller me ravitailler à bord.
J’ai bien vu les mille et un dépanneurs, casse-croûtes et épiceries près de la gare de Tallin, mais comme je n’avais pas faim, je me disais que j’achèterais un truc dans le train plutôt que de m’encombrer d’un repas à trimballer. Près d’un des comptoirs, j’ai même vu une boutique qui vendait des jouets et des collations pour chiens et chats. Oui, voyager avec son animal est plus commun ici.


C’est la troisième fois que je voyage en Europe avec une passe de train qui donne accès à tout le réseau du continent (33 pays en 2025). Comme vous pourrez le lire dans mes reportages (notamment dans Le Devoir en mai), ce n’est pas toujours la manière la plus économique de voyager. C’est souvent pratique, mais loin d’être aussi simple qu’on le croit parce que chaque pays a ses propres règles. J’aurais pu me contenter de relayer les conseils des experts que j’ai interviewés, mais il n’y a rien comme tester soi-même, n’est-ce pas ?
Me voici donc dans un train vers Riga sans bouffe. Ce n’est pas si grave, remarquez: j’ai toujours avec moi des « grignotines d’urgence », à Montréal comme au bout du monde. J’ai longtemps emporté des barres tendres. Puis, j’ai mangé assez de pépins de citrouille et de chocolat noir pour frôler la surdose. Là, je suis dans une phase granola choco-coco-chia. Le trajet dure à peine 4h15. Pas de quoi passer à travers le sac.



J’ai décidé de quitter Tallin un peu plus tôt que prévu, après avoir vu des flocons me narguer en tirant les rideaux. J’avais bien envie d’aller visiter un musée, mais mon écoeurantite des confettis glacés l’a emporté : j’irais voir à Riga si le printemps était là.
Il a clairement raté son train, lui, me suis-je dit en découvrant la grisaille lettonne. Mais avant de vous raconter mes aventures (mot trop fort pour ce que j’y ai vécu) à Riga, quelques mots sur l’Estonie.
En quittant l’aéroport au milieu de la nuit, j’avais l’impression de rouler sur n’importe quelle route du Québec. Les bâtiments auraient pu se trouver à Trois-Rivières. Je suis toujours étonnée quand j’ai ce genre de choc-non-choc. J’entends chaque fois le bruit d’un ballon qui dégonfle (oui, mon cerveau est pourvu d’une banque d’effets sonores bien garnie qui se déclenchent constamment à mon insu). Pourquoi aller si loin pour avoir l’impression d’avoir fait une heure de route ?
Puis, en approchant de la vieille ville de Tallin, PAF ! J’ai été projetée au Moyen Âge. Moi qui raffole des voyages dans le temps, j’ai été servie.
J’avais réservé une chambre au Merchants House Hotel, bien situé et compatible avec mon (petit) budget. J’ai été charmée par le mot « historique » de la description et par les points soulignés sur le site site :
An intriguing array of passageways
Hand painted fresco molds
Wooden beams and balconies
Hidden staircases
An elaborate medieval facade
Due to the historical and UNESCO importance of these buildings the hotel does not have a lift
Évidemment, une fois ma confirmation reçue, je me suis mise à penser aux fantômes. Il me semble que ceux des marchands ne doivent pas tous être très gentils… J’ai chassé l’idée à grand coup de déni bien maîtrisé. À moi, l’histoire-pas-d’ascenseur! 🕺
Divulgâcheur : prise dans mon tourbillon de rédaction, j’ai oublié de vérifier si ces fameux escaliers cachés existaient vraiment et je ne me souviens pas avoir été intriguée par aucun « ensemble de passages ».
La cité médiévale, par contre, m’a ravie. Ma guide, Irina, m’a entraînée dans la haute ville, puis la basse, avant de bifurquer vers l’un des faubourgs (qui m’a tout de suite repaysée - j’avais un peu l’impression d’être à nouveau à Laval ou Brossard, avec quelques façades en ruines ici et là et moins de voitures).



Je raconterai le reste dans mes chroniques et reportages, mais en gros, j’ai aimé explorer Tallinn jusqu’à ce que le soleil se couche et que les 2 petits degrés me donnent l’impression d’être dévorée par le froid malgré mes pelures. L’humidité est une bête féroce aux dents bien acérées. (Et moi, un pauvre lézard constamment égaré).
Je n’étais pas parvenue à réserver de siège dans le train vers Riga - le même qui va jusqu’à Vilnius -, mais j’ai pu me glisser sans problème dans la première classe grâce à mon sésame (merci Eurail).
Un peu plus de quatre heures de rails plus tard, je me suis arrêtée à l’épicerie à côté de la gare, à la recherche d’un repas digne de ce nom. Grâce à l’app DeepL, j’ai évité la déception de croquer dans une sorte de galette sucrée plutôt que dans les croquettes de poisson que je croyais avoir mises dans mon panier. Ces traducteurs qui nous révèlent le contenu d’un texte en langue étrangère en pointant simplement l’appareil photo de son cellulaire m’aurait permis de savoir à quoi étaient toutes ces nouilles « au brun » ou « au rouge » consommées à mon arrivée à Taïwan en 2001... J’ai finalement opté pour les pommes de terre en purée, précisément ce dont j’avais besoin pour me réconforter (avec une poitrine de poulet juste pour dire que j’ajoutais un peu de protéines…)
Le printemps semble être arrivé par le train du matin suivant. Le soleil inondait ma chambre de lumière. Il est même parvenu à tirer les commissure de mes lèvres vers le haut, moi qui boudais depuis la veille. J’ai tout de même dû me botter le derrière pour sortir, terrassée par la fatigue accumulée.
J’ouvre ici une parenthèse pour parler de ma réalité de journaliste voyage. Non, mes séjours ne ressemblent en rien à des vacances. Planifier ce mois en Europe a à lui seul relevé de la haute voltige (sans parler du fait que je terminais un contrat très prenant - mais ô combien emballant ! - en même temps, en plus de mes articles à écrire et de mes chroniques à la radio). Je voulais profiter d’une invitation pour venir dans les parages et faire changer la date de mon billet de retour (j’essaie toujours de combiner les reportages/destinations pour éviter de traverser l’Atlantique trop souvent). La tournée de presse a été annulée, mais j’ai reçu une autre invitation quelques jours plus tard d’une compagnie aérienne.
Le hic : les vols de ladite compagnie débutaient trop tard pour mon voyage… J’ai donc pris la quasi-totalité de mes points Aeroplan pour réserver un vol en classe Affaires avec une escale de 15 heures en Suisse. J’ai ainsi pu terminer un de mes textes et la recherche d’un autre sans quitter l’aéroport. J’ai également pu faire une longue sieste dans une section plus calme du salon et manger sans frais supplémentaires. Le meilleur plan pour moi dans les circonstances.



Alors, Riga ? Pour être honnête, je ne comprends pas trop pourquoi European Best Destinations l’a placée en 2e position de son palmarès des villes européennes à visiter en 2025 (le « Paris du nord », vraiment ?). C’est vrai que j’y étais un dimanche, en basse saison touristique. Les rues étaient désertes, même celles du quartier Art nouveau qu’on m’avait tant vanté. Il y avait des parcs - beaucoup de parcs. J’imagine que la ville plaît aux gens qui détestent les lieux trop animée. En tout cas, moi qui apprécie un certain chaos, je m’y suis un peu ennuyée. Mais j’aurais aussi pu pousser l’exploration et avoir recours aux services d’un guide, comme je le fais généralement.
Le seul train vers Vilnius affichant complet, je me suis rabattue sur le bus. Sitôt sortie de la ville, j’ai encore eu cette impression d’avoir été propulsée quelque part au Québec… Je suis assez nulle en arbres (en visages aussi, mais c’est une autre histoire), mais ceux qui bordaient la route m’apparaissaient en tous points semblables à ceux de mon Lac-Saint-Jean natal. J’ai pu faire la sieste sans ressentir le moindre FOMO.
J’ai quand même vécu une petite montée de stress quand, à la frontière de la Lituanie, le douanier a longuement feuilleté mon passeport, alors qu’il regardait à peine les documents des autres passagers. J’ai ordonné à mes lèvres de dessiner un semblant de sourire pendant que mes yeux disaient sans doute quelque chose comme : «J’ai rien fait je vous le jure, Monsieur-le-douanier ! ». Quand il a fini par me le remettre - en me rendant aussi mon sourire - j’ai recommencé à respirer. Pourquoi a-t-on toujours l’impression d’avoir 7 ans et d’être pris en train de faire une grosse bêtise devant un douanier, même quand on n’a rien à se reprocher et que c’est sans doute la 1083421e fois qu’on se livre à l’exercice ?
Vilnius m’a autant séduite que trituré le coeur. Il y a bien sûr Marie Trintignant, à qui j’ai beaucoup pensé en déambulant dans la ville (j’ai regardé le documentaire juste avant de partir). Les récits de ma guide, qui a fait du bénévolat auprès des réfugiés ukrainiens au début de la guerre, m’ont aussi tiré des larmes.



Voir flotter le drapeau ukrainien un peu partout et les messages solidaires sur les façades, sur les bus et même sur mon billet au musée m’a émue à un niveau que je n’aurais pas soupçonné. « Nous savons que ça pourrait être nous », a glissé ma guide entre deux explications historiques.
Voilà pourquoi je voyage : pour ressentir le monde.
(Texte écrit spontanément dans un train entre Vilnius et Varsovie…)
P.S. : Traverser l’Europe de Tallin à Barcelone prendrait 35 heures de voiture en continu et 2 jours de train selon Google. Pffff! Y’a rien là pour une Québécoise qui a passé quatre jours entre Toronto et Vancouver !
P.P.S. : Vous l’aurez compris, je suis passionnée par les trains et les voyages sur rails, pas par les modèles réduits, hein. 😜